La marque « Adopte un mec » pas encore jugée reconnue
La marque « Adopte un mec » n’est pas encore jugée renommée et son titulaire n’a pas non plus le monopole de l’utilisation des mots « Adopte un … ».
Une société exploite un site de rencontres sous la marque « Adopte un mec » déposée en 2013 pour désigner les services des classes 38 (Télécommunication…) 41 (Education, Formation Divertissement…) et 45 (Services juridiques…).
Une deuxième société spécialisée dans les services de déménagements dépose en 2014 la marque « Adopte un déménageur » pour désigner les services des classes 35 (Publicité, gestion des affaires commerciales…), 38 (Télécommunication…) et 39 (Transport, Emballage, entreposage de marchandises…).
Un conflit s’ensuivit, la première invoquant l’atteinte à sa marque ainsi que des agissements parasitaires à l’encontre de la seconde qui a finalement procédé au retrait de sa marque pour les services des classes 35 et 38, la conservant uniquement pour les services de la classe 39, ce que la première n’a cependant pas jugé suffisant.
Dès lors le litige ne portant plus que sur des services de transport étrangers de ceux exploités par le titulaire de la marque « adopte un mec.com », il était nécessaire au titulaire de la marque « Adopte un mec » de démontrer qu’elle était une marque renommée.
En effet au regard du principe de spécialité qui gouverne le droit des marques, la marque renommée est protégée, sous certaines conditions, au-delà des produits ou services désignés dans l’enregistrement.
La question posée était donc de savoir si « Adopte un mec » est une marque renommée, et si oui, l’était-t-elle à la date du dépôt de la marque seconde, car évidemment cette renommée devait remonter à une date antérieure à celle du dépôt de la marque seconde litigieuse.
Cette question est soumise au tribunal de grande instance de Paris qui rappelle que conformément à la jurisprudence de la CJCE (devenue CJUE) la renommée d’une marque suppose pour être reconnue que soit prouvé un degré de connaissance du public concerné c’est à dire que soit prouvé que la marque est connue d’une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts pat cette marque.
Pour ce faire, il faut prendre en considération les éléments suivants : la part de marché, l’intensité», l’étendue géographique, la durée de son usage, ainsi que l’importance des investissements réalisés pour la promouvoir.
Évidemment un nombre particulièrement important de pièces et documents est produit par le titulaire de la marque, tels des dossiers de presse, des budgets de communication, des articles de magazine, différents sondages, etc.
Toutefois, pour le tribunal la société titulaire de la marque échoue à démontrer une renommée de sa marque « adopte un mec » antérieurement à la date du dépôt de la marque critiquée « adopte un déménageur », c’est à dire en 2014.
Autrement dit, il y a éventuellement renommée, mais elle n’existait pas antérieurement au dépôt de la seconde marque ce qui ne peut donc rétroactivement lui nuire.
Restait la question non moins intéressante des agissements parasitaires.
Effectivement, l’usage des mots « adopte un » peut constituer un agissement parasitaire au préjudice d’une société qui utilise non seulement le signe « adopte un mec » mais également des expressions accolant un nom de profession, telles que « adopte un cuistot », « adopte un chirurgien », « adopte un journaliste », « adopte un professeur », « adopte un vétérinaire ».
Et le tribunal de juger que cette société ne peut s’approprier en dehors du monopole accordé à travers le droit des marques, le terme ADOPTE qui doit rester libre pour tous les acteurs économiques dans le cadre de leur communication.
Cette même société ne peut non plus interdire aux acteurs économiques intervenant sur d’autres secteurs de marché, d’utiliser un ton décalé, de montrer des hommes torse nu, montrant leurs muscles, surtout rajoute le tribunal, pour une présentation d’un service de déménagement.
Elle ne peut non plus davantage revendiquer l’utilisation dans sa publicité d’hommes représentés en « homme produits » parce qu’elle serait à l’origine de cette idée et qu’une idée ne peut être protégée
Enfin, ajoute le tribunal, elle ne démontre aucun risque de confusion.
Le tribunal prône donc, et il faut s’en féliciter, la liberté pour l’ensemble des autres acteurs économiques d’utiliser dans leur communication ces mêmes mots, qui ne relèvent finalement que de la simple idée ou du simple concept, en l’absence bien sûr de confusion qui pourrait être entretenue par ces mêmes autres acteurs.
Reste la question qui pourrait de nouveau se poser à propos de la renommée de la marque « adopte un mec », renommée qui ne peut être écartée pour le futur au regard des différentes preuves produite dans la présente affaire, mais il faudra à son titulaire d’en faire à nouveau la démonstration, la renommée n’est pas pérenne, elle est fluctuante selon les époques.
Tribunal de grande Instance de Paris 22 mars 2018 n° 2017/01086
Par Claude BARANES
Avocat à la Cour
Chargé de cours à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne et à la Faculté Libre de Droit d’Economie et de Gestion.
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